Ou comme vous a lu de la forêtwin10 inaccessiblee 这是哪首

Qu?est-ce que
la Beauté&?
Claude L&v&que, Valstar Barbie, 2003
Installation sonore. Dans une salle enti&rement peinte en rose : 1 escarpin rouge
g&ant balay& par la lumi&re d'
3 cerclages chacun avec 24
lumi&res 18 ventilateurs font onduler des volants en tissu
20 tubes de n&on recouverts d'un filtre rose. Escarpin : 200 x 357 x 100 cm
Derrière l?opacité du visible
Du Beau idéal au ravissement et à l?expression
Le beau, commencement du <>
Le retour du mot <>
Pablo Picasso. Jean Dubuffet
Christian Boltanski
Giuseppe Penone. Bill Viola. Claude Lévêque
Pierre Bonnard. Ugo Rondinone. Sophie Calle
Henri Matisse. Sam Francis. Valérie Favre
L?art, r?servoir in?puisable du beau
Qu?est-ce que la beauté&? Ou,
plus précisément, qu?en est-il de la beauté dans l?art du XXe siècle et
d?aujourd?hui&? Question immense à laquelle on ne peut pas répondre
directement et que l?on ne peut approcher que sous la forme de l?interrogation,
cédant parfois le pas au constat historique, aux réflexions esthétiques et aux
exemples que fournit l?art contemporain. La question étant ici celle d?une
beauté qui n?est pas naturelle mais qui relève du domaine de l?art, ce
réservoir inépuisable du beau sous différentes formes.
l?opacit? du visible
? partir du XVIIe siècle
l?adjectif beau accolé à arts, nommant l?ensemble de la production plastique,
donne lieu au substantif Beaux-Arts,
reliant intrinsèquement l?art et la beauté. Il s?agit de l?Art dans sa
manifestation noble, opposé à la production artisanale et aussi aux Arts
appliqués ou Arts industriels. C?est <>
qu?embrasse le terme Beaux-Arts, comme le souligne Etienne Souriau dans son Vocabulaire d?esthétique (Puf, 1990),
car la création fait de l?artiste un nouveau Dieu qui s?affranchit des normes
pour créer des formes nouvelles. L?art ne rend
pas le visible mais rend visible ce qui, sans l?entremise de l?art, ne se montrerait pas, écrivait Paul Klee. S?affranchissant de la mimesis (imitation du réel), fondement
de la poétique et de l?esthétique depuis Aristote, l?art révélerait ce qui se
cache derrière l?opacité du visible.
L?art révèle et fait éclore l?être
de l?étant, écrit Heidegger (<>, in Chemins qui ne
mènent nulle part, Tell Gallimard, 1962). Interrogeant à partir du tableau
célèbre de Van Gogh Les souliers l?essence de l?art, Heidegger la trouve dans l?ouverture, l?avènement de la
vérité de l?étant que l??uvre d?art permet. Ce n?est pas dans l?imitation
fidèle d?une paire donnée de souliers de paysan que réside l??uvre d?art mais
dans&<>, cette présence qui se referme dans la réalité, l?art l?ouvre, et
<>, ajoute Heidegger.
Néanmoins, il est difficile de
parler de la beauté dans l?art sans l?aborder dans la nature, où elle a été
depuis toujours liée à ce qui est agréable à contempler car il s?y mêle
harmonie et proportion (Grèce) mais aussi splendeur et éclat du vrai (Platon). Pour Kant, est beau ce qui universellement pla?t sans concept. Le terme
plaisir étant au c?ur de l?expérience de la beauté, qui rassure et apaise. Distingué
du beau, le sublime en tant que démesure, dépassement des limites de la
perception humaine, serait pour Kant source d?angoisse et d?effroi éprouvé
comme une menace d?engloutissement.
du Beau id?al
au ravissement et ? l?expression
Pour Stendhal, la beauté n?est que promesse de bonheur (De l?Amour). La gr?ce serait plus belle
encore que la beauté car elle aurait les charmes de l?imprévu, tandis que la
beauté serait liée à l?idée que l?on s?en fait. C?est ainsi que, dans son Histoire de la peinture en Italie (1817), il parle de <<&beau idéal ancien&>> et de <<&beau idéal moderne&>>. La beauté antique, expression <>, s?oppose à la beauté moderne qui attache les ?mes
tendres et leur parle à travers les tableaux du Corrège, <>, mais aussi, comme dans
certains passages de la poésie du Tasse1,
mélancolie et souvenir.
Dans les deux cas, la beauté est
liée à un idéal. <>
C?est ce que Stendhal éprouve devant les ?uvres de ses peintres favoris, d?où
émane <>.
Néanmoins, c?est par <> que l?art s?approche du plus
grand but de l?homme&: <>. <>, écrit-il (Histoire
de la peinture en Italie).
1. Torquato Tasso,
en fran?ais Le Tasse, est un poète italien,
connu pour son ouvrage La Jérusalem
délivrée (1580), poème épique en 20 chants inspiré de la première croisade.
Ce poème, dans la tradition du roman de chevalerie de la Renaissance, est
annonciateur, par les conflits émotionnels de ses personnages, des vertiges du
Le beau, commencement du <>
Quelques années après Stendhal, Baudelaire affirme que <>, et Rimbaud,
anticipant sur le XX siècle, osera s?attaquer à la beauté&: <> (Une saison en
Pour Rilke le beau n?est <> (Elégies de Duino). Le sublime kantien est inclus dans cette
approche du beau qui n?est pas sans rappeler la terribilità dont parlait Vasari au sujet des sculptures de Michel-Ange.
Devant la Sixtine et Le Jugement dernier de Michel-Ange, Stendhal admiratif et bouleversé s?était demandé comment le
peintre a pu <>.
En 1919, Freud écrit un texte fondamental pour l?approche de l??uvre
d?art&: L?Inquiétante étrangeté (Das Unheimliche). Dans cette étude,
la psychanalyse se mesure à l?esthétique, entendue non seulement comme doctrine
du beau mais aussi <>. Le concept d?inquiétante étrangeté, apparenté à celui de
peur, d?angoisse, d?effroi, présente néanmoins un sens qui lui est propre. Pour
Freud, est <> tout ce qui devrait rester caché et qui se
manifeste, c?est le symbole qui se défait et renvoie à ce qu?il était tenu
symboliser. Ce sentiment qui serait peu répandu dans la vie courante,
trouverait dans l?art ses plus importantes manifestations. Ce sera, en effet, à
partir de textes littéraires, les Contes
fantastiques d?Hoffmann, que Freud va b?tir son article. La peinture, la
sculpture, l?écriture peuvent aussi véhiculer une beauté trouble qui accroche
spectateurs et lecteurs, les interpellant des
zones obscures de l?inconscient.
Le retour du mot <>
Presque disparu au XXe siècle chez
les artistes et critiques, le mot Beauté refait peu à peu sa
réapparition depuis quelques années. Le passage au troisième millénaire est
salué à Avignon par une exposition qui fait date au Palais des Papes&: La Beauté in Fabula. Les plus éminents
artistes contemporains y sont convoqués et leurs ?uvres dialoguent avec
d?autres, plus anciennes et de différentes cultures. La beauté y est célébrée
comme une quête et un parcours se
dénouant dans les méandres du magnifique palais.
Un ouvrage intitulé Histoire de la Beauté est dirigé par Umberto Eco en 2004, une autre
imposante somme sur la beauté vient d?être publiée chez Gallimard (100&000 ans de Beauté, 2009), un
recueil sur Qu?est-ce que le Beau&? vient de para?tre aux
éditions Laffont Presse, tandis que Fran?ois
Jullien interroge Cette étrange idée
du beau (Grasset, 2010) propre à l?Occident et qui, écrit-il, n?a pas de
correspondance dans la pensée chinoise. La beauté suscite encore des questions
et des passions.
Parallèlement, l?exposition
inaugurale du Centre Pompidou-Metz, qui s?ouvre en mai 2010, s?intitule Chefs-d??uvre&? Apparentée à la notion de beauté, celle de chef-d??uvre a aussi été souvent écartée
par les artistes du XXe siècle. Le sens d?une telle notion y est interrogé à
travers une présentation de plus de 500 ?uvres, pour la plupart issues des
collections du Centre Pompidou.
Ce dossier, à travers un parcours
des collections modernes et contemporaines du Centre Pompidou, Musée national
d?art moderne, veut interroger des ?uvres où la
beauté retentit encore. Il s?articule autour de quatre aspects
essentiels&:
- les atteintes aux canons esthétiques classiques dans la représentation de la
figure et du lieu, propres aux mouvements historiques majeurs et à certaines expériences
contemporaines,
- la beauté qui na?t du trouble et qui inquiète,
- la mélancolie comme séduction et attrait de l??uvre,
- le retour extatique à la beauté de la peinture.
Atteinte ? la Beaut?, beaut? convulsive, beaut? de la pr?sence
En même temps que l?image de l?ancienne
figure du monde s?en va dans les événements tragiques du XXe siècle&:
guerres mondiales, massacres, génocides, ébranlant la confiance en l?homme et
dans le progrès chère au XIXe siècle, une importante révolution plastique se
met en place. Elle est accompagnée d?une remise en cause philosophique de la
pensée cartésienne et de la naissance de la psychanalyse, abolissant l?unité du
sujet conscient, pour révéler un sujet clivé entre le <> et les
différentes instances inconscientes. Les artistes, ébranlant les codes
figuratifs traditionnels, s?attaquent à la représentation humaine, pour en
donner une image disloquée, géométrisée, déformée, défigurée.
Pablo Picasso ()
S?attaquant avec la même force tant aux natures mortes qu?au corps humain, le cubisme,
faisant voler en éclat la représentation du réel, déforme la figure humaine jusqu?à
la monstruosité. Picasso qui, déjà en 1907 avec les Demoiselles d?Avignon,
avait révolutionné l?art moderne, introduisant l?art ibérique et africain, se
lance dès 1908, dans l?aventure du cubisme.
Picasso, La Muse&; Jeune femme dessinant dans
un inté Deux femmes [1935]
Huile sur toile, 130 x 162 cm
Peinte en 1935, cette
toile traite du thème de la création. La muse inspiratrice y
devient l?objet de la peinture, elle dessine, tandis qu?une autre femme aux
lignes courbes (il s?agit de Marie-Thérèse, enceinte de l?artiste à l?époque)
repose sa tête sur la table. Intégrant présentation de profil et de face, la
tête de la jeune femme à l?arrière-plan montre la (dé)formation du visage chère
à Picasso dès 1913.
Dominée par les couleurs froides que sont le violet et le vert, la toile
exprime la douceur, le recueillement et le calme. Le corps humain y est traité
de manière géométrique et structurée, nouant un dialogue avec l?espace clos de
l?atelier. Même si d?époque plus tardive, la multiplication des plans, fruit de
l?éclatement du point de vue, ainsi que la simplification des volumes et la dépersonnalisation
de la figure sont typiquement cubistes.
Au-delà des <> ou des <> comme il le dit lui-même,
Picasso cherche une présence, la marque indélébile
de l?être ou de l?objet qu?il peint, et cette présence est belle d?une beauté
qui dépasse l?agréable car elle est vraie.
sujet de Guernica où il s?agit de
représenter la guerre, l?artiste s?exclame&: <>.
Faire exister la guerre dans le tableau, avec son propre langage qui est celui
de l?éclatement de l?expérience sensible, cela ne relève plus de la beauté
agréable mais de la poésie au sens étymologique du terme qui renvoie à faire1, faire la guerre
dans la peinture, comme dans un visage s?il s?agit d?en rendre la fulgurante
1. En grec, le verbe poiein signifie faire.
Jean Dubuffet ()
S?articulant en un certain nombre
de séries qui constituent à chaque fois un changement de style, l??uvre de
Dubuffet n?en est pas pour autant moins cohérente du point de vue de la pensée
et d?une certaine vision de l?homme, de l?art et de la culture. Réduire son
?uvre à l?art brut ou inspiré des dessins d?enfance serait oublier le caractère
délibéré d?un tel art et le c?té savant de son ?uvre alimentée par de nombreux
écrits théoriques.
S?intéressant
à la représentation du corps humain, Dubuffet y revient à plusieurs reprises et
notamment en
avec la série des Corps
de dames, où il se mesure au genre le plus sacré de la peinture
occidentale&: le nu féminin. Il
dépouille la figure humaine de ses plus chères prérogatives&: ordre,
beauté, symétrie. Il aplatit les formes qui se confondent dans la matière. <> selon ses dires, les corps sont
transformés en des champs ouverts de matière chaotique, juste un peu cernés par
de lointains et vagues contours. Toute profondeur est abolie. L?espace pictural
co?ncide avec la surface du support. Derrière la monstruosité des corps
représentés se cache néanmoins un propos qui est d?ordre philosophique&: montrer
que le corps demeure plus complexe qu?on ne le croit, en donnant une vision organique de la machine humaine comme vue de l?intérieur.
Le peintre
américain Willem de Kooning est subjugué par ces peintures présentées à New
York en 1951. Il s?en inspire pour élaborer ses Women.
Jean Dubuffet, Le Métafizyx, ao?t 1950
Huile sur toile, 116 x 89,5 cm
?uvre dérange. C?est la première et insistante constatation qu?on peut faire à
son sujet. On ne peut pas lui trouver le c?té ludique et dr?le de son Olympia, ni la bonhomie d?autres figures
féminines qu?il a réalisées précédemment, Terracotta
la grosse bouche de 1946, par exemple. Ce qui frappe, d?abord, c?est la
couleur faisant massivement <> avec la matière picturale,
lourde, épaisse. Cette couleur évoque celle de l?or, et confère à la silhouette
féminine un caractère d?ic?ne ou plut?t d?idole sacrée.
c?est à une désacralisation de la
représentation du nu féminin que
l?on assiste ici. La figure s?étale immense, prenant largement possession de l?espace,
la tête, de taille réduite, est déjà l?annonce d?un crane. Appel à la dimension
mortelle, à l?être-matière-finie&; femme rime ici avec mère, mater, materia. Les
écrivains au XXe siècle ont largement insisté sur cette dimension de la femme,
<> dit Beckett,
ou alors <> selon Céline ou
Il s?agit, ici, d?atteintes à la beauté, comme pour Picasso. L??uvre est belle
de sa vérité, à savoir sa matérialité, allant de pair avec celle, mater, materia, de la femme.
<> la beaut?
une véritable révolution du sens et du sensible, la beauté surréaliste est hasardeuse,
surprenante, explosive, convulsive. La phrase de Lautréamont <> est au c?ur de l?esthétique du collage, si chère aux
surréalistes.
<>, écrit André Breton dans Nadja et encore&: <>, précise-t-il dans L?Amour
Des monstres mi-humains mi-oiseaux
des romans-collages et des peintures de Max Ernst aux Minotaures de Picasso,
aux métamorphoses de Miró, aux corps mêlant l?animé et l?inanimé de Magritte,
c?est un cortège de <>, à la fois merveilleux et terribles,
qui se déploie alors. Troublant la conscience du spectateur et l?amenant dans
la région enfouie de l?inconscient, qui ignore le temps et la contradiction,
ces corps polymorphes visent le choc
visuel et psychique.
Max Ernst ()
Par son ?uvre novatrice et complexe,
Max Ernst est une figure dominante du surréalisme. Il a été l?inventeur d?un
grand nombre de techniques nouvelles comme le frottage, le grattage, la décalcomanie, qui ont permis la
création de nouvelles images ouvertes
à l?inconscient.
Max Ernst, Chimère, 1928
Huile sur toile, 114 x 145,8 cm
Cette toile, une des plus connues
et énigmatiques, occupe une place centrale dans le bestiaire fantastique des
surréalistes. S?imposant avec une évidente force de choc, l??uvre qui illustre
à merveille l?esthétique surréaliste a été immédiatement acquise par Breton.
Sortant du fond noir comme des profondeurs de la nuit, la chimère,& agrégat monstrueux de membres de
différents animaux, se déploie dans la toile comme une apparition. Le torse féminin se prolonge en aigle et renoue
avec la thématique de l?oiseau, si chère à l?artiste, annon?ant l?oiseau
supérieur, le Loplop des années trente auquel l?artiste s?identifie. Le contraste
violent entre la forme unitaire de l?animal, couleur de feu, et le fond dont elle se détache par la découpe de son ombre
bleue est souligné par un autre contraste&: les aplats noirs du fond et le
modelé du corps hybride.
V?rit? de la pr?sence
recherche d?une vérité qui serait au c?ur de l?expérience esthétique, et qui
dépasserait l?adage canonique de l?art comme beau mensonge, caractérise l?art du
XXe siècle. Cézanne l?avait annoncé dans sa phrase célèbre&: <>.
Poussant au-delà de la représentation la recherche du <> de la vérité, des artistes contemporains qui
travaillent les installations veulent immerger le spectateur dans l?espace de
l??uvre qui se confond avec l?espace réel.
Christian Boltanski (1944-)
L??uvre de
Boltanski s?élabore à l?enseigne de la mémoire. Mémoire autobiographique et
affective qui dispara?tra avec la mort, liée aux événements de tous les jours,
qu?il nomme la <>, et qu?il oppose à la <> gardée par les livres. Ses réalisations dépassent les genres. La
photographie, par exemple, qu?il utilise souvent, peut s?imprimer sur des volumes,
habiter les murs, c?toyer dans ses installations les objets arrachés à l?oubli.
Les matériaux humbles, objets domestiques, photographies de famille, habits
usagés constituent le matériel de prédilection de l?artiste.
Christian Boltanski, Réserve, 1990
Installation. Vêtements en tissu, lampes
Dimensions variables
Réserve se dénoue dans les murs d?une
pièce sans fenêtres qu?elle tapisse d?habits usagés, l??uvre enveloppant de
différents tissus le spectateur. Il s?y dégage l?odeur d?un magasin exigu de
fripes où les vêtements s?entassent et envahissent l?espace du spectateur qui
pourrait s?en saisir, toute distance étant abolie entre celui-ci et l??uvre.
installation est au c?ur d?une méditation sur la mort que l?artiste développe
dans les années 80. La référence à l?holocauste va peu à peu s?inscrire dans
ses ?uvres, dont Réserve est un des
principaux témoignages. Dans cette chambre recouverte de vêtements polychromes,
faisant appel au visuel et le dépassant à la fois, la tension entre le visible
et l?espace vécu est à son apogée. La sensation visuelle, olfactive, la très
grande présence physique de l??uvre saturent l?espace sensible du spectateur.
très fort à l?ici et maintenant des objets contrastant avec l?appel à la
mémoire qu?ils suscitent, rend l?installation hautement dramatique.
<> du temps qui passe dans la vanité de vêtements qui
nous renvoient à des êtres inéluctablement perdus, et <>
liée à l?histoire du XXe siècle sont ici à l??uvre. Un sentiment tragique d?absence et de silence se libère de cette ?uvre où, à l?accumulation des vêtements
anonymes, répond, par un terrible hiatus, celle des corps disparus. <>, dit l?artiste, et c?est avec elle que
l??uvre essaye de nous réconcilier.
Réserve poigne le spectateur, le clouant
à la limite du représentable&:
sa propre mort, la présence de l?absence, là, à portée de sa main. La beauté
nait ici de l?intense vérité de l??uvre portant avec prégnance sur les
questions essentielles de la vie, de la mort, de notre être de passage.
Une Beaut? qui trouble
Belles sans doute, séduisantes
même, certaines ?uvres attirent le spectateur dans leur espace et le retiennent
entre exclamation et émotion, enchanté et troublé à la fois. Il s?agit parfois
d?installations qui, se déployant dans un espace réel et non pas représenté,
sollicitent une expérience totale des
sens&: l?odorat et le tact chez Penone, les images aux limites du
visible chez Viola, la lumière et la musique ensorcelantes chez Lévêque. La
beauté qu?elles véhiculent n?est pas rassurante. Tenant les sens en éveil, elles
se tiennent comme au bord d?un précipice esthétique, sur le point de vaciller
dans le terrible ou la menace.
Giuseppe Penone (1947-)
Giuseppe Penone est associé au
mouvement de l?Arte povera qui na?t
en Italie vers la fin des années soixante et qui pr?ne le recours de l?art à
des matériaux naturels comme la terre, à des éléments végétaux, minéraux et se
double d?un primitivisme des formes et des gestes créateurs. Au sein de ce
mouvement, Penone mène une trajectoire singulière. Son ?uvre se caractérise par
une interrogation sur l?homme et la nature et par la beauté, de plus en plus affirmée, de ses formes et de ses matériaux. Sa sculpture, en prise avec des
questions qui la débordent, comme celles du temps, de l?être, du devenir,
évoque la dimension kantienne de l?infini et du sublime comme beauté en
mouvement et tentative de cerner l?incernable.
Mettant l?accent autant sur le
processus créateur que sur l??uvre, le sculpteur s?identifie au fleuve (?tre fleuve), au souffle, à ce qui est
par essence mouvement et vie. Toujours au plus près de la nature dans son
essence végétale, Penone perce, à plusieurs reprises, dans ses interventions au
sein de la forêt des Alpes maritimes, la vie du bois dans ses manifestations
les plus infimes.
Dimensions de l'installation variables
4 formats de cage : 117x78x7 100x78x7 78x78x7
Sculpture en bronze : 48 x 22 x 30 cm
[Installation 2001 : 180 cages
présentées dans une salle mesurant 4,40m(h) x 12,45m x 7,45m]
Don de l'artiste 2001 - AM 2001-6
Photo Philippe Migeat (C) Adagp,
Giuseppe Penone, Respirare l'ombra (Respirer l'ombre),
Installation
200 cages grillagées remplies de feuilles de laurier et une
sculpture en bronze doré <>
Dimensions de l'installation variables
4 formats de cage : 117x78x7 100x78x7 78x78x7
Sculpture en bronze : 48 x 22 x 30 cm
Dans l?été
2000, Penone est invité à l?exposition, au Palais des Papes à Avignon, qui a
pour sujet La beauté. Il répond à l?invitation en réalisant une étonnante
installation faite de cages de laurier qui tapissent une salle. L??uvre qui,
après Avignon, a été donnée par l?artiste au Musée national d?art moderne, a
été adaptée pour sa présentation en musée. La vo?te a disparu mais les quatre
murs tapissés de cages de laurier sont restés. Si, à Avignon, la suggestion du
lieu, sa poésie, le drame amoureux que l??uvre exalte dominaient, dans le musée
elle prend, selon les dires de l?artiste, une dimension plus historique qui la
relie aux autres ?uvres présentées.
traiter de la beauté à Avignon, Penone s?inspire du grand poète italien
Pétrarque (Arezzo, 1304 - Padoue, 1374) qui, dans son Canzoniere, avait célébré son amour platonique et malheureux pour
Laure de Noves, rencontrée et perdue dans ces lieux. L??uvre est l?évocation
poétique de la forêt tellement chantée par Pétrarque et de son amour. Le choix
du laurier est surdéterminé de sens&: le laurier fait écho avec le nom de
la femme aimée du poète, mais il est aussi le symbole de la poésie elle-même et
de Pétrarque qui avait été couronné poète des poètes. On peut comprendre
l?attrait de Penone pour Pétrarque car, comme l?artiste, le poète avait célébré
la nature dans son osmose avec l?homme et plus particulièrement avec le corps
Le laurier est aussi une plante dont le parfum vivace et sa couleur résistent
au temps. La disposition des feuilles à l?intérieur des cages veut donner, par
la vibration des nuances de vert, une dimension de mouvement. Le format des cages
est celui de rectangles construits selon la section dorée, respectant donc des
proportions idéales.
des murs, une sculpture en bronze représentant deux poumons moulés dans des
feuilles trouble la présence paisible des verts aromatiques. Elle est le rappel
du parfum qui se dégage du lieu et qu?il faut respirer, comme l?ombre. Elle est
aussi de l?ordre de ce qui, en tant qu?organes de la respiration, devraient
rester cachés, et qui se montrent, forcement étranges et inquiétants. C?est pourtant cette ombre, portée au c?ur même de
l??uvre, qui la ponctue et lui confère sa forte beauté d?impact et de choc qui interroge et interpelle.
Bill Viola (1951-)
L??uvre de Bill Viola &#8211;
lequel fut surnommé par Nam June Paik <> &#8211;
transcende le travail de la caméra pour créer des atmosphères qui modifient la
perception de l?espace-temps, amenant le spectateur à l?intérieur de ce que
Viola appelle <> (Art Press, n°233, interview de Rosanna
Albertini).
Le spectateur, dépassant les limites de son identité, est immergé dans la
dimension du temps que l?outil vidéo rend manifeste et dans les fluctuations de
la lumière qui fait et défait les images. Si l?image est présente dans son
?uvre et si dans certains travaux il interroge la peinture et en particulier
l??uvre de Pontormo (The Greeting, 1995), recréant dans une installation
vidéo une peinture vivante, c?est la
perception humaine et ses limites
apparentes que Viola explore et interroge en les dépassant.
Bill Viola, Five
Angels for the Millennium, 2001
1. Departing
Angel. 2. Angel of Birth. 3. Angel of Fire. 4. Ascending Angel. 5. Angel
of Creation
Installation vidéo
Projetées sur cinq immenses
écrans, cinq figures accomplissent au ralenti leur action&: plongée dans
l?eau, sortie de l?eau et ascension, dans un décor sonore tendu jusqu?à l?explosion.
Explosion acoustique qui accompagne l?émergence de la forme humaine de la
matière lumineuse. Figure toujours brouillée, participant à la fois de
l?élément aquatique et du ciel. En effet, comme l?indique le titre, Five
Angels for the Millennium, il s?agirait de cinq anges&: celui qui s?en
va en plongeant, celui de la naissance, celui du feu, celui qui monte dans un
mouvement ascensionnel et celui de la création.
La consonance mystique est évidente dans cette ?uvre où Viola, qui s?insurge
contre le manque de dimension contemplative propre à notre époque, met en scène une figure spirituelle difficilement
représentable, celle de l?ange, qui a hanté la représentation picturale en
Occident pendant des siècles, poussant la représentation aux confins de
l?infigurable et l?image à la limite de la dématérialisation.
Plongé dans le noir profond de la
pièce où est projetée l??uvre, le spectateur est invité à une expérience de
tous les sens, remettant en cause la perception et ses lois. Le temps semble s?allonger
dans la durée des actions qui se prolongent&; eau et ciel se confondent
dans un espace qui abolit les limites entre les choses. Le visible est menacé
par l?invisible, l?obscurité rongeant à chaque instant la lumière, et la
tension émotionnelle, véhiculée par le son, explosera au moment de l?apparition
des corps propulsés hors de l?eau ou engloutis en elle. Rien ne reste, tout
bouge inlassablement et l?image aussit?t formée rentre dans le processus de sa
disparition.
Création, naissance, mort, élévation, vie, sont les
moments forts de l??uvre scandés par le titre. Une ?uvre qui, voulant libérer
chez le spectateur les affects refoulés, est de l?ordre de la catharsis.
<>, déclare en effet Bill
Belle, l??uvre de Viola l?est dans le sens de Rilke, d?une beauté à la limite
du terrible, car elle contient en elle une menace d?engloutissement pour celui
qui la regarde. <> écrit le poète, et ceux de
Viola véhiculent cette beauté des extrêmes et de l?ambigu&té.
Claude Lévêque (1953-)
L??uvre de Claude Lévêque
s?articule autour de travaux mettant en scène des objets liés à des souvenirs d?enfance. Utilisant des matériaux de récupération ou
faisant intervenir la lumière et le son, elle se caractérise par son intensité émotionnelle. Affectionnant
de plus en plus le travail in situ, son ?uvre crée des espaces et des atmosphères impliquant le spectateur dans un
parcours où les éléments puisés au réel, retransfigurés par la lumière,
prennent un sens souvent onirique.
Claude Lévêque, Valstar Barbie, 2003
Installation sonore
Dans une salle entièrement peinte en rose : 1 escarpin rouge
géant balayé par la lumière d' 3 cerclages chacun avec 24
lumière 18 ventilateurs font onduler des volants en tissu
blanc&; 20 tubes de néon recouverts d'un filtre rose
Escarpin : 200
x 357 x 100 cm
Cré&e pour l?ancien entrep?t de La Sucrière à la VIIe Biennale de Lyon, Valstar Barbie est une immense pièce
peinte en rose, baignant dans une lumière rose émise par deux tubes fluorescents.
Se laissant, comme toujours, imprégner par les lieux, Lévêque en propose une
lecture au premier abord féerique. Le spectateur pénètre dans l?espace invité
par la musique&: l?extrait d?une valse de Strauss diffusé en boucle. Un
volant parcouru par le vent émis par des ventilateurs crée l?illusion du
mouvement, auquel contribuent la musique tournoyante, la lumière fluorescente
et l?escarpin géant figurant au fond de la pièce, devenue ainsi une immense
piste de danse. Allusion évidente aux contes
de fées&: Cendrillon, le bal et l?escarpin perdu, l??uvre renoue aussi
avec l?enfance par son titre lié à la poupée célèbre&: Barbie.
Néanmoins, le spectateur est
alerté par l?échelle géante de l?escarpin, élément central, contrastant avec la
petitesse de ce dernier dans le conte, et le
sentiment d?enfermement et d?oppression qui émerge peu à peu de cet
environnement illusoire. Le doute qui s?installe au sein de la perception
réinterroge le titre, porteur d?un double sens, associé au nom du célèbre
commandant de la Gestapo de Lyon, Klaus Barbie. L?élément familier et rassurant
lié à l?enfance et à ses rêves se retourne aussit?t en son contraire, devenant
inquiétant. L??uvre révèle son aspect double et envoutant et le
spectateur se perd avec trouble et délices dans sa perception.
Une belle m?lancolie
Comme le soutient déjà Aristote et
comme le pensait la Renaissance, la mélancolie, ou bile noire, est-elle le
propre du génie&? L??uvre d?art serait-elle soumise au versant dépressif
qui doublerait chez l?artiste le c?té créateur&? L?histoire de l?art et
des arts nous prouvent que la beauté na?t souvent dans la mélancolie, s?en
nourrit, la véhicule. Parlant au spectateur ou au lecteur de cette zone sombre
qui le rive à l?affect, à la douleur, au non-sens, la mélancolie attire malgré
Des tristes paysages des
arrière-plans de La Mort de Procris de Piero di Cosimo () où avec Céphale la nature entière semble pleurer
la mort de la nymphe aimée, au troublant Christ
mort d?Hans Holbein (), à l??uvre de Nerval, de Dosto?evski ou de
Duras en littérature, l?expérience créatrice n?arrête pas de se mesurer à
l?expérience de la perte et du <>, comme l?écrit Julia Kristeva dans Soleil noir. Dépression et mélancolie (Gallimard, 1987).
La beauté inaccessible, car perdue,
vers laquelle nous amènent de telles ?uvres parcourt l?univers d?artistes
modernes et contemporains qui, de Bonnard à Sophie Calle ou Ugo Rondinone, déclinent la beauté attachante de la perte&:
intimement en rapport avec l?expérience amoureuse, ou plus existentielle car liée
à la perte radicale du sens, propre à la culture occidentale, après la mort de
Dieu dont Nietzsche a parlé.
Pierre Bonnard ()
Pierre Bonnard fait tout d?abord
partie du groupe des Nabis, à c?té d?Edouard Vuillard, Maurice Denis, Félix
Vallotton. Le mouvement des Nabis s?illustre par l?importance accordée à la
couleur au dépens de la forme, simplifiée, et par l?intérêt porté vers des
scènes de tous les jours que la peinture arrête et rend atemporelles. Après
avoir excellé dans l?art de l?affiche, Bonnard évolue vers une peinture de plus
en plus personnelle où, dans un langage d?origine impressionniste, il glisse
les thèmes qui lui sont chers&: des scènes intimes, des intérieurs, des
nus et des figures au miroir, des vérandas ouvertes sur des extérieurs éblouissants
de lumineuse végétation, caractérisées par un cadrage toujours singulier associant de manière intime sujet et objet.
Pierre Bonnard, L'Atelier au mimosa, hiver 1939/octobre
Huile sur toile, 127,5 x 127,5 cm
A partir de 1939, Bonnard se fixe
définitivement dans sa villa du Bosquet au Cannet, qu?il a acquise en 1925.
Modeste maison dont l?atelier se trouve au premier étage. Pour peindre,
l?artiste a choisi la mezzanine perchée plus haut et illuminée par une verrière,
laissant percer le paysage splendide au loin, la mer, les toits du village et,
tout près, la végétation éblouissante.
C?est la fenêtre illuminée par le
mimosa, lequel occupe les trois quarts de la composition, qui devient le sujet
du tableau. L?espace de la représentation est habilement scandé par la
géométrie solide des montants de la verrière où les horizontales et les verticales
se voudraient contenir la pluie dorée s?échappant du mimosa pour animer
l?espace autour&: la transparence de la vitre, le métal des montants en
fer où elle se prolonge comme dans une incandescente éruption. La couleur,
appliquée par touches aérées, brille et se diffracte et le regard, saisi par la
puissance de l?apparition, se tient au
bord de l?éblouissement.
Inversant les lois de la
perspective atmosphérique, c?est ici le plus proche, le mimosa, que l??il
n?arrive pas à cerner, se donnant comme une percée de couleur intense tandis
que le paysage, au loin, se profile plus net dans les touches déterminées de
rouge, bleu, vert et gris. Plus près du spectateur, sur l?angle gauche au bas
de la toile, un visage se fait à peine
jour. De la même nature que le mur où il s?inscrit, il plane dans le lieu,
fait lui-même lieu. Certainement le visage de sa femme aimée, depuis toujours
son modèle, Marthe, morte en 1942.
Au c?ur même de la vie, dans la
fulgurance lumineuse du mimosa qui, tel un soleil, se répand dans l?espace,
l?ombre fantomatique de la mort jette un voile, renvoyant le spectateur à la
fragilité des êtres et des choses, au temps qui passe et avalera, dans son
inéluctable passage, le printemps des fleurs, comme la vie humaine. Le souvenir
seul peut alors rappeler celle qui, un jour resplendissante comme le mimosa,
n?est aujourd?hui que reflet, ombre planante.
L a métaphore de la fleur et de sa
brève beauté pour exprimer le temps qui passe et détruit tout est un topos classique de la littérature. De
Ronsard à Proust en passant par Shakespeare, les écrivains ont toujours établi
des correspondances entre l?être aimé et les fleurs. Tel un poème, le tableau
semble lever une plainte mélancolique
sur la perte de l?être aimé et sur sa fragile splendeur.
Ugo Rondinone (1963-)
Découverte à la Biennale de S?o Paulo en 1996,
l??uvre d?Ugo Rondinone s?impose depuis, sur la scène artistique
internationale, par la diversité de sa production et l?atmosphère singulière
qui la caractérise. Ses installations intègrent la peinture, le dessin, la
sculpture et la musique à travers des bandes sonores qu?il réalise lui-même.
Prenant à contre-pied les valeurs contemporaines de l?efficacité, du dynamisme,
de l?énergie, Rondinone, qui avance caché, met en scène entre le spectateur et
lui un curieux personnage de clown, antihéros par excellence, mou et avachi,
indolent, porte-parole de l?artiste.
Ugo Rondinone, The evening passes like any other. Men and women float alone throught the air. They drift past my window like
the weather. I close my eyes. My heart is a moth fluttering against the walls
of my chest. My brain is tangle of spiders wriggling and roaming around. A
wriggling tangle of wriggling spiders. (Stillsmoking Part IV), 1998
Salle blanche de 10m x 10m x 4m (minimum)
The evening passes (?), dont le titre en
anglais prend la forme d?un poème en prose qui retrace l?atmosphère
languissante et en circuit fermé de l??uvre, est une installation mixte. Il
s?agit d?une salle blanche aux plinthes vaporisées de peinture jaune cadmium où
trois immenses monolithes clairs flottent dans
l'espace, les notes d?une
musique mélancolique y retenant le spectateur comme prisonnier. &A cette musique
qui encercle dans sa mélodie plaintive et enchanteresse ce dernier, répond la contemplation
hypnotique des films diffusés sur des moniteurs placés en haut, aux coins de la
films présentent, au ralenti, les fragments d?un geste, d?une action qui se
répète jusqu?à devenir inquiétante. La femme, qui secoue quelque chose dans
l?air près de la fenêtre, semble sur le point de prendre un envol qui pourrait
être fatal. La voiture qui avance sur une route enneigée tra?ne, derrière elle,
une voiture accidentée dont la silhouette est presque imperceptible. Dans un
autre écran, un homme esquisse un geste qui invite et refuse à la fois. Tout
est comme suspendu dans un temps
infiniment lent où se perdent les contours des choses et où tout flotte
dans l?indécidable.
<> où le sujet se perd dans une nuit d?avant le temps individuel,
vie f?tale à laquelle renvoie aussi la forme des cocons sonores, sont des
dimensions auxquelles appelle l??uvre. Avec une force irrésistible, The evening passes (?) ravit le
spectateur dans sa ronde pour le tenir comme captif d?un autre temps, d?une autre logique qui s?oppose au sens
Sophie Calle (1953-)
Figure majeure de la scène de
l?art fran?ais, Sophie Calle interroge depuis plus de trente ans, à travers des
films, des installations, des photographies et des textes, cette zone sombre de
la vie psychique à laquelle nous rive l?expérience
de la perte. Dès ses premiers travaux &#8722; Les Dormeurs (1979) et La Suite Vénitienne (1980) avec lesquels
elle met en place son procédé consistant à reconstruire des situations réelles et
autobiographiques, où l?art et la vie affective se mêlent &#8722;, elle relate
minutieusement par l?image et le texte des situations où le spectateur est
confronté à l?expérience de ce qui n?est plus.
Déserté comme les chambres de la Suite
Vénitienne, sentimentalement perdu comme dans Douleur exquise () ou dans les travaux plus récents autour
du deuil de la figure maternelle, l?art de Sophie Calle n?a de cesse de se
confronter à la disparition et la gamme d?affects qui s?y relient.
Sophie Calle, Douleur exquise, &
Troisième volet Après la
douleur (détail)
Installation. Ensemble dissociable de 9 polyptyques
Portée pendant presque vingt ans,
cette ?uvre a attendu l?exposition Sophie
Calle. M?as-tu vue, au Centre Pompidou, pour être créée. Se déployant dans
trois salles, elle relate une rupture amoureuse, vécue par l?artiste en 1984
alors qu?elle était en voyage. Dans la première salle le temps se mesure en
jours, les jours qui ont précédé cette séparation&: 92, nombre qui
correspond aux éléments qui figurent encadrés ici&: lettres, documents et
photographies. La deuxième salle qui rassemble les photographies faites dans la
chambre d?h?tel où elle apprend que son amant la quitte, lieu du choc émotionnel,
est au c?ur de l??uvre. Le troisième espace constitue un essai de dépasser la
douleur par les mots, les siens et ceux d?autres personnes qu?elle interroge au
sujet de leur plus grande douleur. Cette dernière partie de l??uvre est
constituée de 72 diptyques composés chacun de deux photographies et de deux
textes brodés sur un panneau de lin.
L??uvre du Centre Pompidou comprend neuf de ces diptyques où, à la photographie
du téléphone rouge par lequel l?artiste apprend la nouvelle et au texte
relatant son histoire, succède une photographie en référence avec la personne
interrogée, accompagnée du texte relatant le nouveau récit douloureux.
Retranscrits dans un style épuré qui rend encore plus poignante la traversée de
la douleur, les textes, comme les photographies, encadrés de noir, s?alignent telles des stèles mortuaires.
L?allusion ultime à la mort et le recours à la photographie comme moyen de
rendre plus efficace la perception de l?irrémédiablement perdu sont au c?ur de
l??uvre. Barthes avait pointé le lien indissociable entre photographie et
perte. ?crit après la mort de sa mère, La
Chambre claire (1980), qu?il consacre à la photographie, en définit l?essence
du c?té de <> et qui ne pourra plus se
répéter <>.
C?est de la parfaite jonction entre le signifiant (la photographie) et le signifié (le sens de l?image) que
na?t la profonde beauté de cette ?uvre où la <> devient
<>. La froideur visuelle introduite par l?alignement des
textes, noir sur blanc, va de pair avec le cadre en verre qui soustrait l??uvre
au pathos, l?inscrivant dans une autre sphère, celle de l?art et de la
sublimation des affects. L?ensemble, textes et photos, participe de la même
froide beauté qui épingle le débordement des sentiments et canalise la douleur.
Sublime beaut? de la peinture
S?affranchissant de toute relation
à l?histoire &#8722; <>
disait Joyce &#8722;, ou de tout ce qui trouble et inquiète, d?autres artistes
semblent passer à travers les trames douloureuses de l?existence pour, comme
Matisse, n?exprimer que <>. C?est aussi l?approche jouissive de la couleur
diluée dans les étendues aériennes des toiles de Sam Francis, quand ce n?est
pas un retour à la peinture comme
plaisir lié au medium lui-même chez des artistes contemporains tels que
Valérie Favre. La beauté s?y livre alors liée à l?équilibre chromatique, à une
certaine relation avec l?espace, à la belle volupté de la matière elle-même.
Sublime dans le sens de <>,
elle se fait rencontre avec ce qui, au-delà de tout souci représentatif,
persiste dans toute la splendeur de son immédiate présence.
Henri Matisse ()
Les mots équilibre, harmonie,
définissant la beauté au sens classique, sont au c?ur de la peinture de
Matisse, pour lequel l?art ne doit pas inquiéter mais au contraire être un
<>. L?artiste a consacré toute sa pratique picturale à la recherche de
l?équilibre entre la couleur et la forme, qu?il parvient à exprimer de la manière la plus simple et la plus directe à la fin de son
Henri Matisse, Grand intérieur rouge, printemps 1948
Huile sur toile, 146 x 97 cm
Matisse, qui consacra au motif de l?intérieur un grand nombre de ses toiles,
l?espace et la dimension qu?y créent les objets suffisent à garantir
l?intérieur pictural. Ainsi, Grand
Intérieur rouge est avant tout <>, comme le veut l?artiste pour toute ?uvre d?art. (In Henri Matisse, ?crits et Propos sur l?art,
Hermann, Paris, 1972.) La dialectique dessin-couleur, platitude-profondeur qui
travaille son ?uvre est ici synthétisée. Couleurs et lignes noires alternent
tout naturellement sur le fond de peinture rouge. L?équilibre de la couleur et du dessin est souverain.
peintre met à l??uvre le langage plastique qui lui est cher, fondé sur les
oppositions entre droites et courbes, vides et pleins, intérieur et extérieur,
et joue sur l?illusion de l?ouverture simulée par le dessin et le tableau au
mur qui, comme deux fenêtres, semblent s?ouvrir sur le dehors. Mais tout
s?inscrit dans le même plan-surface qui est celui de la lumineuse couleur rouge
s?étalant partout. <> (In Henri Matisse, op.cit.)
Matisse, il faut réduire la gamme des
couleurs qui ne rejoignent leur véritable force expressive qu?en lien avec l?intensité de l?émotion du
peintre. Ici l?intensité du rouge, accentuée par la chaleur des jaunes et
des orangés, rend tout le reste comme immatériel, y compris les objets. Le
dessin noir crée une dimension d?espace, introduisant par l?oblique de la table
et de la chaise une certaine profondeur, aussit?t démentie par les tapis jaunes
au sol qui se dressent parallèles au plan du tableau, accentuant ainsi la
planéité de la surface que l?omniprésence du rouge proclame.
Sam Francis ()
Sam Francis commen?a à peindre
suite à un accident d?avion, qu?il commandait, lors de la Seconde Guerre mondiale.
C?est pendant une convalescence de 4 ans que le jeune homme, grand lecteur
d?H?lderlin et de Melville, découvre la peinture et peint <>, comme il le dit. Ce sont les jeux de lumières dans sa chambre, les
variations de la couleur du ciel au long d?une journée qui orientent sa
peinture. De son ?uvre si singulière où la couleur par touches diluées et cotonneuses
dialogue avec des fragments d?espace blanc, Pontus Hulten écrit&: <>. (In L??uvre de Sam Francis dans
les collections du Musée d?Idemitsu,
Paris, Pavillon des Arts, 1986.)
Sam Francis, In Lovely Blueness (Dans l'adorable
bleuité),
Huile sur toile, 300 x 700 cm
Vers le milieu des années cinquante,
Sam Francis quitte la scène new-yorkaise pour travailler à Paris. Ce tableau,
inspiré par les Nymphéas de Monet,
saisit le spectateur l?emportant d?emblée dans son immensité qui, comme une couverture céleste, l?enveloppe, lui
parlant ciel, océan, lumière. Le
titre, In Lovely Blueness, est la
traduction d?un poème d?H?lderlin et sonne comme un hymne à la beauté suave de
la couleur. Ce tableau ouvre une nouvelle période de sa peinture où l?artiste
fait dialoguer les formes colorées qu?il désagrège avec les plages de blanc en
réserve. Tout se fait souffle, air, mouvement des éléments colorés qui
s?enchevêtrent, espacement infini et enchanteur, véritable extase picturale.
Valérie Favre (1959-)
Après avoir vécu en Suisse et une
quinzaine d?années en France, Valérie Favre s?installe à Berlin où elle
continue sa pratique artistique. Elle se fait remarquer par une peinture qui
voudrait renouer avec la
<>, une narration souvent en prise avec l?imaginaire
des contes de fées.
Valérie Favre, Domination, Le Troisième Frère Grimm,
Tableau en 3 panneaux
Huile sur toile, 250 x 450 cm
Ce très grand tableau en trois
volets fait partie d?une trilogie, appelée <>,
l?allusion aux récits classiques de l?enfance se fait explicitement entendre.
L??uvre évoque, par la dominante des verts et des formes des arbres qui s?y
devinent, la forêt, lieu de prédilection des récits et des fantasmes associés à
la perte du chemin, aux rencontres dangereuses, à l?engloutissement par
dévoration des protagonistes, suscitant peur et enchantement chez l?enfant et
l?adulte aussi. Et ici, comme dans un souvenir lointain, les formes se font et
se défont, surgissent du fond sombre du panneau central qui organise la
composition, pour venir fluctuer à la surface de la peinture verte, prenant
l?aspect d?étranges animaux, de silhouettes humaines, où l?imaginaire l?emporte
sur le réel.
Mais au-delà de tout sujet, la
véritable protagoniste de l??uvre est ici la
peinture à l?huile dans la richesse infinie de ses possibilités, celle de
se montrer elle-même dans l?évidente jubilation de sa matière&: coulures
et glacis, transparences et opacités, glissant fluide sur les choses comme sur
les zones de silence.
Qu?est-ce que la beauté&?
Imprévue, n?ayant pas
forcement les caractères propres de l?idéal comme le voulait Stendhal, la
beauté, rassurante ou troublante, envoutante ou mélancolique, serait la force
d?impact d?une ?uvre allant de pair avec son effet de vérité&?
Serait-elle ce qui, dans la
juste adéquation du signifiant (composante matérielle) et du signifié (le
sens), émane d?une ?uvre et l?excède&?
Irréductible à toute formule définitive,
traversant les siècles et les courants artistiques, son efficace reste la
même devant la Sixtine de Michel-Ange ou Respirer
l?ombre de Penone, arrachant au spectateur sensible la même exclamation
qui le ravit et le poigne.
Bibliographie s?lective
? Platon, Phèdre (nouvelle traduction de Luc Brisson), GF Flammarion
? Platon, Hippias Majeur, Hippias Mineur, traduction Jean-Fran?ois Pradeau et
Francesco Fronterotta, GF Flammarion.
? Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger, 1790,
traduction Alexis Philonenko, Vrin, 1993
? Stendhal, Histoire de la Peinture en Italie, 1817, Editions Gallimard, Folio
Essais, 1996
? Sigmund Freud, Essais de psychanalyse appliquée,
traduction Marie Bonaparte et Mme E. Marty, Idées Gallimard, 1933
? Martin Heidegger, Chemins qui ne mènent nulle part, 1949,
traduction Wolfgang Brokmeier, Tell Gallimard,1962
? Rudolf et Margot Wittkover, Les enfants de Saturne, traduction
Daniel Arasse, Macula, 1985
? Jean-Louis Chrétien, L?Effroi du Beau, Editions du Cerf, 1987
? Julia Kristeva, Soleil noir. Dépression et mélancolie,
Gallimard, 1987
? Etienne Souriau, Vocabulaire d?esthétique, Puf, 1990
? La Beauté, catalogue, réunissant trois expositions dont <>, ouvrage collectif, Flammarion, 2000
? Umberto Eco (sous la direction), Histoire de la Beauté, traduction Myrem
Bouzaher, Flammarion, 2004
? 100&000 ans de Beauté, ouvrage collectif, Gallimard, 2009
? Qu?est-ce que le Beau&?, ouvrage collectif, Laffont Presse,
Liens internet
Lien externe
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Pour consulter
les autres dossiers sur les expositions, les collections du Mus&e
national d'art moderne, l'architecture du Centre Pompidou
Afin de r&pondre au mieux & vos attentes, nous souhaiterions conna&tre
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Vous pouvez nous contacter
via notre site Internet, rubrique
& Centre Pompidou, Direction de l'action &ducative et des publics,
avril 2010
Texte : Margherita
Leoni-Figini
Design graphique&: Michel
Fernandez,
Coordination&: Marie-Jos&
Rodriguez (responsable &ditoriale des dossiers p&dagogiques)
Dossier en ligne sur

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